Fiction Rocket man

Quand le jeudi 12 janvier 1967, Georges Pompidou premier ministre spécialement dépêché par avion, inaugure la faculté des sciences (curieusement aucune archive photographique n’en subsiste !) Il est un des rares à savoir, avec le Général et une poignée d’hommes, triés sur le volet, que la rotonde, conçue par l’architecte Henri Beauclair, n’a pas eu besoin d’attendre que l’on coupe le ruban, pour lui trouver fonction.

En effet, avant d’entrer en service comme amphithéâtre et de pouvoir accueillir professeurs et étudiants, Elle fut au cœur d’une mission secrète, dont presque aucune trace n’est parvenue jusqu’à nous !

Henri Beauclair lui-même, n’en n’a jamais rien su. Tout comme les instances universitaires de l’époque.

1967, la guerre froide bat son plein. Les États-Unis et l’U.R.S.S. sont engagés chacun, dans une course effrénée vers l’espace, (c’est aussi le moment où la France prend officiellement distance avec l’O.T.A.N.) C’est dans ce cadre et grâce à son architecture que la rotonde va connaître une destinée insoupçonnée avant même « sa carrière » universitaire. Fin 1964, les travaux de la rotonde se terminent, la nouvelle faculté des sciences est un grand complexe à peine sorti de terre, il faudra donc encore plusieurs mois avant son fonctionnement effectif, ce n’est encore qu’un vaste chantier. Un lieu sans affectation, sans public, sans usagers. C’est donc un lieu parfait pour qui doit mener des activités de recherches confidentielles.

Avant d’entrer dans le détail, il nous faut connaître quelques rappels et éléments situant l’action de cette épopée…

Au sortir de la seconde guerre mondiale les spécialistes des États-Unis, de l’U.R.S.S. et du Royaume-Uni conscients de l’avancée du régime nazi, en matière de fusée et d’armes de type V2 ratissent l’Allemagne occupée et mettent la main sur les fusées, les pièces détachées existantes, les plans et les spécialistes allemands, dont d’ailleurs nombre d’entre eux rejoindront les États- Unis. Les russes, quant à eux, débauchent un gros contingent de techniciens. Pour leur part, les représentants des armées françaises n’arrivent à récupérer ni fusée V2 complète ni documentation véritablement exploitable. Seule une centaine de spécialistes libérés par les Britanniques sont embauchés par la D.E.F.A. (Direction des Études et Fabrication d’Armement) Ces techniciens, anciens de Peenemüde (T.A.P.) sont affectés à un organisme de recherche spécialement créé en 1946 le L.R.B.A. (Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques) qui a pour but premier l’étude et la mise

au point de futurs missiles. En 1949, après diverses tentatives d’améliorations sur une base V2, la D.E.F.A. décide la mise en sommeil du projet.

D’autres tentatives à longue portée destinées à combattre la menace des bombardiers soviétiques sont également abandonnées et le projet est définitivement clos en 1958 au profit du missile américain Hawk, fabriqué sous licence en France. Dès lors le L. R. B. A. poursuit ses recherches à partir de ce missile. D’autres fusées développées de façon autonome naissent : les fusées Véronique (1949-1969) puis Vesta (1962-1969)… Malgré ses grandes ambitions la France ne peut s’affranchir totalement des américains, qui par l’instauration du plan Marshall (1947) et la création de l’O.T.A.N. en 1949 (Organisation du Traité Atlantique Nord) restent présents dans de nombreux domaines. Ainsi même si l’avion de chasse mystère II (premier avion français à passer le mur du son) et son évolution en Mystère IV sont de conception entièrement française (Marcel Dassault Aviation) c’est bien le secrétariat d’état américain, suite aux essais du fameux pilote « Chuck » Yeager qui commande, le 25 avril 1953, les 225 premiers exemplaires (sur un total de 410) qui seront prêtés à l’armée de l’air française. Il n’est alors pas encore question pour l’armée de l’air française de vols spatiaux habités. Parallèlement, une certaine indépendance se fait jour, en 1958, le général Charles De Gaulle (alors président de la République) dans le cadre de la stratégie nucléaire et suite à l’échec des négociations avec les États-Unis (sept. oct.) lance pleinement la France dans l’aventure autonome de l’arme atomique (premiers essais en 1960). Il fait créer une société de droit privé la S.E.R.E.B. (Société d’études et de réalisations d’engins balistiques) financée par la défense et pilotée par Michel Debré, premier ministre.

Quant au L. R.B. A., celui-ci est mis sur la touche. La conquête de l’espace fait rêver les jeunes gens… Il faut dire que Tintin, le petit journaliste belge de fiction, à déjà marché sur la lune (depuis 1954 sortie de l’album).

Le 7 janvier 1959 est créé le C.R.S. (Comité de Recherches Spatiales) présidé par Marc Auger, physicien. Sans en aviser ce dernier, les techniciens du S.E.R.E.B. (lié à la défense) développent le lanceur Diamant (1960-1961). S’en suit le programme E.B.B. (Études Balistiques de Bases) aussi appelé « Pierres précieuses » (1961-1965), pour lequel de conséquents moyens sont investis. Des fusées ayant de plus en plus de capacités sont alors conçues : Agate, Topaze, Émeraude, Saphir et Rubis. Le cosmonaute soviétique Youri Gagarine devient le premier homme dans l’espace le 12 avril 1961… Très vite suivi, en mai de la même année par l’Astronaute américain Alan Sheppard. On accélère donc les choses, aussi en France. Le C.R.S. évolue pour

devenir le C.N.E.S. (Centre National d’études Spatiales) en1962. Toutefois ses moyens sont moindres, il se limite en un comité de coordination et se concentre sur le développement de satellites et il envoie en formation de jeunes ingénieurs à la N.A.S.A. (National Aeronautics and Space Administration), les États-Unis refusant tout transfert de technologie concernant les lanceurs. Le C.N.E.S., à son détriment, n’obtient pas la conception des satellites emportés par la fusée Diamant A (1965-1967), dévolue au seul S.E.R.E.B. La création du Centre Spatial Guyanais (C.S.G.) est entérinée en 1964 (opérationnel en 1968) Il est confié tout naturellement au S.E.R.E.B. (qui dans la plus grande opacité est capable de travailler tant sur les lanceurs que sur les têtes nucléaires embarquées) la mission de constituer à partir de l’année 1964 une équipe très réduite en vue de préparer un vol spatial habité.

C’est ainsi que dans le plus grand secret et pour éviter d’utiliser les centres d’entraînement militaire existants, automatiquement surveillés, que la rotonde, fut très sporadiquement utilisée pour développer et tester la première centrifugeuse humaine à sustentation magnétique, c’est ainsi que des ingénieurs de la société Bertin et Cie. sont approchés (Jean Bertin étant l’inventeur de l’Aérotrain) et qu’enfin seuls deux pilotes sont recrutés sur la base aérienne 103 Cambrai (et non la base 112 de Reims afin de n’éveiller aucun soupçon) les techniciens et développeurs, quant à eux sont exclusivement issus du S.E.R.E.B. Sous la couverture d’installateurs d’horloges cette cellule spéciale réalise les essais et entrainements des pilotes à l’automne 1965. Pour ensuite rendre les locaux à leur usage initial encore actuel aujourd’hui. Le développement de La coopération européenne en ce domaine et une certaine date du 20 juillet 1969 ont mis fin à ce programme. C’est toutefois à cette époque que la France a gagné sa place de troisième puissance spatiale.